Le seul « backseat driver » qui ne vous horripilera pas.

Mikael Ljung Aust, l'un des principaux chercheurs du Centre de Sécurité de Volvo Cars, a toujours été fasciné par l'esprit humain.

Mikael Ljung Aust

Mikael Ljung Aust, un des principaux chercheurs du Centre de Sécurité de Volvo Cars.

Mikael Ljung Aust, l'un des principaux chercheurs du Centre de Sécurité de Volvo Cars, a toujours été fasciné par l'esprit humain. Cela semble évident, non seulement en raison de sa formation - une maîtrise en philosophie théorique et religion, une autre en sciences cognitives et un doctorat en causalité des accidents et évaluation des mesures d’évitement - mais aussi à travers son récit. Son interview est jalonnée d'histoires d'amis, de collègues, de famille et d'émissions de télévision, du floorball (cousin du hockey en salle) à Jeeves et Wooster (série britannique des années 90) en passant par la définition du luxe. Toutes ces anecdotes renferment des clés sur les aspects de l'humanité qui captivent et intriguent Mikael. Elles sont toutes racontées dans le but d'illustrer comment la compréhension de ce qui motive les gens peut l'aider, lui et son équipe chez Volvo Cars, à les transporter en toute sécurité dans nos voitures.



**Commençons par l'essentiel. Comment avez-vous commencé chez Volvo Cars ? Pourquoi un constructeur automobile recherchait-il une personne ayant votre expérience ?**


J'étais en train de préparer ma thèse à l'université Chalmers de Göteborg, ville siège de Volvo Cars. À l'époque, Volvo venait de mettre en place une nouvelle équipe d'enquête sur les accidents, dont l'objectif était de déterminer pourquoi ces accidents se produisaient et pas seulement la façon dont les personnes s’étaient blessées une fois qu'ils s'étaient produits. Ce projet nécessitait une méthodologie précise, et j'ai donc fait ma thèse de doctorat en développant une méthode d'enquête sur les causes des accidents.


J'ai commencé vers 2002 ; nous avions une voiture et un premier système de smartphone auquel les services d'urgence locaux envoyaient des alertes dès qu'il y avait un accident. Nous nous rendions sur place dès que nous le pouvions et interrogions les gens, en essayant de reconstituer ce qui s'était passé et de l'exprimer formellement dans une méthode que nous pouvions utiliser pour comparer les accidents et voir quels modèles se répétaient dans la plupart des accidents.



Les choses sont très différentes aujourd'hui, mais j’en suis toujours à peu près là.


**Vous avez donc travaillé à la recherche et au développement des systèmes d'aide à la conduite qui feront leurs débuts dans le nouveau EX90, dévoilé le 9 novembre. Pouvez-vous nous en direplus à ce sujet ?**


Avec notre nouvelle technologie de suivi des yeux et de suivi de la posture, dans le cadre de notre DUS (Driver Understanding System), ce que nous suivons véritablement, c'est l’attention que vous portez ou non à la route. C'est aussi simple que cela.



En ajoutant le DUS à l'équation, nous pouvons faire en sorte que la voiture soit mieux en phase avec vous. À une extrémité de l'échelle, nous pouvons supprimer les avertissements ou les interventions dont vous pouvez vous passer, car nous pouvons constater que vous êtes maître de la situation, même si elle est tendue. À l'autre extrémité, nous pouvons renforcer les signaux dont vous avez vraiment besoin. Cela signifie que la proportion de fois où la voiture vous avertit de quelque chose pour lequel vous avez vraiment besoin d'aide, par opposition à quelque chose que vous voyez déjà, augmente. Et cela renforce la confiance. C'est l'une des principales missions du DUS, si ce n'est la principale, de contribuer à renforcer la confiance.



**Pourquoi est-il si important qu'un conducteur fasse confiance à sa voiture ? **


C'est un peu comme avoir un copilote. S'il n'arrête pas de crier "attention !" pour rien, votre confiance en lui diminue et vous avez moins envie de vous déplacer avec lui. Vous ignorez ses avertissements, et la seule fois où il crie pour une bonne raison, il est fort probable que vous l’ignoriez également. Les résultats pourraient être vraiment, vraiment mauvais. Mais si cette personne est vraiment fiable, disons huit fois sur dix, vous la voulez dans la voiture parce que vous lui faites confiance.



Donc, si nos voitures sont mieux en phase avec vous grâce au DUS, vous vous sentez plus à l'aise pour leur faire confiance, et les chances que vous agissiez en fonction d'un avertissement plutôt que d’être agacé augmentent considérablement.



**Qu'en est-il lorsque la voiture ne se contente pas d'émettre un signal sonore, mais prend des mesures ?**


Une étude menée il y a une dizaine d'années a révélé que si la voiture fait ce qu'il faut, les gens ont tendance à s'attribuer cette action.



Nous avions six voitures haut de gamme dans lesquelles nous comparions différents systèmes d'info-divertissement. Toutes étaient équipées de la fonction Lane Keeping Aid, qui vous aide à bien rester sur votre bande de circulation. A l'époque, il s'agissait plutôt de la première génération et les gens ne la connaissaient pas vraiment.



Nous [les testeurs] avons activé le Lane Keeping Aid dans toutes les voitures, mais sans en prévenir les conducteurs. Nous avions soixante conducteurs, et presque chacun d'entre eux a connu une situation où la voiture l'a ramené sur sa bande sans qu’il ne s’agisse d’une situation dangereuse.



Une seule personne sur les soixante a posé des questions à ce sujet à la fin du voyage.

Parce que lorsque vous sentez le volant tirer un peu, vous levez les yeux et la voiture revient au centre de la bande. Et bien sûr, vous pensez que vous êtes un excellent conducteur et donc que c’est vous qui avez eu cet excellent réflexe.


Avec notre nouvelle technologie de suivi des yeux et de suivi de la posture, dans le cadre de notre DUS (Driver Understanding System), ce que nous suivons véritablement, c'est l’attention que vous portez ou non à la route. C'est aussi simple que cela.

**On peut donc utiliser l’ego du conducteur et le faire interagir avec les dispositifs de sécurité ?**


Oui ! En fait, c'est encore mieux si le conducteur pense qu'il le fait lui-même.

Il s'agit de s'assurer que la façon dont nous présentons ces dispositifs de sécurité est liée à la perception et aux actions normales du conducteur, afin de stimuler ses sens et ses capacités en cas de besoin. Un peu comme un exosquelette qui augmente votre force. Vous devez toujours décider de ce que vous soulevez, mais cela vous donne plus de force.



Mon collègue dit, à propos du régulateur de vitesse adaptatif, que le public a commencé par le considérer comme un gadget, mais qu'au fur et à mesure, il est devenu indispensable. Bientôt, sans lui, on a presque l'impression de se sentir tout nu. Nous savons alors que nous avons créé un soutien au bon niveau subconscient ; vous l'utilisez, sans y penser, et vous vous sentez légèrement mal à l'aise sans lui. C'est le point idéal. Quand les choses fonctionnent, quand vous n'avez pas à y penser, c'est le luxe.



**Pouvez-vous m'en dire plus ? En quoi est-ce un luxe ?**


Connaissez-vous Jeeves et Wooster ? C'est une vieille série comique, sur un gentleman des années 1920 et son majordome incroyablement doué. Wooster se retourne en pensant qu'il veut un verre et Jeeves le lui tend déjà.

C'est là que nous voulons être : fournir ce dont vous avez besoin quand vous en avez besoin. Pour y parvenir, nous devons avoir quelques secondes d'avance sur vous, ce qui signifie que nous devons connaître l'intention et comprendre le désir. Nous avons une bonne idée de ce qui est agréable, de ce qui est une bonne réponse à cette intention que vous semblez avoir. C'est une chose très exclusive, c'est un luxe, mais cela vaut la peine de s'y intéresser.


**Vous parlez de lire les gens et d'être capable de les prédire grâce au système de compréhension du conducteur, mais comment recueillez-vous les données nécessaires pour faire ces prédictions ?**



Il est essentiel de noter qu'absolument aucune donnée ne quitte la voiture sans le consentement du conducteur. Même si, dans le cadre du DUS, nous avons des caméras dans la voiture, il s'agit d'une boucle totalement fermée, ce qui signifie qu'aucun enregistrement n'est sauvegardé et qu'il ne quitte jamais la voiture. Pour nous, il ne s'agit pas d'enregistrer une vidéo, mais de profiter du fait qu'une caméra est le moyen le plus précis dont nous disposons pour mesurer vos mouvements oculaires et votre langage corporel. C'est cette information qui est utilisée par la voiture pour assurer votre sécurité.



Maintenant que les voitures et leurs capteurs sont connectés à l'informatique dématérialisée, il pourrait être possible d'avoir accès à davantage de données en direct sur la façon dont les gens conduisent réellement. Dans le cas de chaque conducteur, il faudrait bien sûr qu'il accepte que ses données soient collectées et qu'il choisisse le niveau de données qu'il est prêt à partager. Sans ce consentement, comme je l'ai dit, nous ne voyons même pas leurs données.



Mais s'ils choisissaient de les partager, cela nous permettrait d'obtenir des informations passionnantes. Nous pourrions suivre la marge de choix des gens en temps réel, d'une façon totalement impensable il y a dix ans et faire des progrès constants en matière de sécurité.

Par exemple, nous pourrions étudier à quelle distance d'un objet les gens ont tendance à freiner. Il faut ensuite y ajouter un peu d'apprentissage automatique, d'intelligence artificielle et d'algorithmes intelligents. Dans de nombreux cas, vous pouvez déterminer un ensemble de paramètres dans lesquels beaucoup de personnes se retrouvent. Certains comportements peuvent être communs aux personnes qui aiment freiner bien avant de s'approcher de quelque chose. Une autre série de comportements peut être commune aux personnes qui freinent à la dernière minute, etc.



Si vous pouvez caractériser ces "types" de conducteurs, vous pouvez également dire : "cette personne aurait déjà freiné". Si la voiture prend alors le contrôle et freine d'elle-même, cela ne posera pas de problème à cette personne, car lorsqu'elle lèvera les yeux et verra où elle se trouve, elle dira "Oh **** !".


Nous travaillons avec des types de données, plutôt qu'avec tout ce qui concerne un individu, parce que, honnêtement, les données personnelles ne sont pas utiles pour fournir ce traitement de luxe. Si vous vous enregistrez dans un hôtel cinq étoiles, le personnel n'a pas besoin de connaître votre lieu de naissance ou votre niveau d'études pour vous traiter comme un client précieux et prévoir vos besoins, car la plupart des gens ont les mêmes besoins lorsqu'ils se trouvent dans un hôtel et se comporter de manière professionnelle à leur égard ne nécessite pas une connaissance préalable de l'histoire de leur vie. C'est la même chose dans la circulation. Nous pouvons être professionnels et personnels tout en respectant la vie privée.



Il faut toutefois se rappeler qu'à l'intérieur de ces "types", les gens varient, et qu'il y a donc une grande différence entre les personnes. En outre, en tant que personne, vous pouvez avoir une bonne ou une mauvaise journée et cela a un impact sur votre comportement et votre concentration. Selon moi, la prochaine étape consisterait à mieux déterminer où se situe la limite de votre zone de confort et à nous y adapter.



**Qu'est-ce qui vous enthousiasme le plus dans les cinq à dix années à venir ?**


Encore une fois, on en revient à la confiance. Je pense qu'une chose avec laquelle nous pourrions avoir des difficultés à court terme est la reconnaissance et l'acceptation du public, car certaines personnes pensent que nous essayons d'agir comme un flic ou une nounou super envahissante. Or, ce que nous faisons réellement, c'est nous occuper de vous de manière personnelle en fonction de votre comportement du jour.



J'espère donc que dans cinq à dix ans, le public dira que si quelqu'un conduit comme s'il était ivre, il est non seulement acceptable, mais même attendu, qu'un constructeur automobile active les systèmes de sécurité et intervienne si nécessaire.



Cela ressemblerait à la façon dont les attitudes ont changé à l'égard, par exemple, des casques de ski. Personne n'avait l'habitude d'en porter, mais aujourd'hui, on se sent presque nu sans. C'est un élément de sécurité normalisé. Je veux qu'il en aille de même pour les voitures, que les gens disent : "Je ne voudrais pas voyager dans une voiture qui ne peut pas savoir si je fais une crise cardiaque, si je m'endors ou si je perds ma concentration. J'aurais l'impression de conduire une voiture sans ceinture de sécurité".

La technologie n'est bénéfique que si les gens en voient l'utilité et se sentent en sécurité lorsqu'ils l'utilisent.



*Backseat driver. Littéralement « Conducteur de siège arrière », expression utilisée pour désigner, dans une voiture, un passager qui ne cesse de donner ses bons conseils au conducteur. *

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